Crise économique, l’hétérodoxie manque cruellement

Jerome Powell, président de la Fed.

Lorsqu’une crise systémique se déclenche, les États-Unis ne s’encombrent guère de considérations idéologiques afin de ne pas répéter les erreurs du passé. En 2008, lors de l’effondrement des subprimes, la Fed avait fait fonctionner la planche à billet et des nationalisations pures et simples avaient été décidées. Freddy Mac et Fanny Mae, les deux mastodontes du crédit hypothécaire étaient passés dans le giron de l’état sans soulever de controverse majeure.

De la même manière, Jerome Powell, le président de la Fed, a repris la politique de son prédécesseur Ben Bernanke pendant la crise des subprimes, mais à une échelle beaucoup plus importante. Bien entendu, le quantitative easing a encore fonctionné à plein régime, mais cette fois-ci, la Fed a racheté de la dette privée à tour de bras, y compris des junk bonds. Débarrassés de ces actifs toxiques, les marchés ont repris des couleurs après plusieurs krachs lors du déclenchement de la crise du coronavirus, si bien qu’ils ont effacé leurs pertes, avec un Nasdaq qui a atteint un plus haut historique au mois d’août. Trump en avait d’ailleurs profité pour parler de reprise historique.

Si l’on se fie aux cours boursiers, cela en avait effectivement tout l’air, avec une courbe en V qui se dessine très nettement lors des premiers mois de 2020. Au niveau du PIB, les chiffres viennent de tomber et la même courbe est observable, puisqu’après une baisse colossale de 31.4% au deuxième trimestre, le PIB américain a progressé de 33.1% au troisième trimestre. Trump s’est d’ailleurs à nouveau félicité de cette excellente progression à quelques jours du scrutin, ce qui ne pouvait pas mieux tomber pour lui.

Ce phénomène n’est pas seulement observable aux USA. En France, l’économie s’est également brutalement redressée puisque la Banque de France maintient ses prévisions de croissance inchangées, avec une progression du PIB de 17% au troisième trimestre. S’il est une évidence, c’est que les institutions publiques savent désormais gérer les crises systémiques, du moins à court terme. En Europe, la politique du bazooka monétaire a également été appliquée et Christine Lagarde, après son passage à la tête du FMI, n’a pas lésiné sur les moyens en inondant les marchés de liquidités par le biais du Programme d’achat d’urgence de la BCE. Cela a toutefois des conséquences, puisque le bilan de la BCE a atteint des proportions à peine concevables (6743 milliards d’euros en octobre, plus de la moitié du PIB de la zone euro !).

A un moment ou à un autre, la question de mesures non conventionnelles va devoir se poser. Que va-t-on faire de cet Everest de dettes ? De plus, la politique menée par les grandes banques centrales n’avait d’autre but que de favoriser l’endettement des états en maîtrisant les taux obligataires mais n’a pas réglé le problème de l’inflation, qui demeure désespérément basse avec +0,2% en août et +0,1% en septembre.

Les objectifs à court terme des gouvernements et grandes entités nationales et internationales semblent toutefois atteints puisque nous ne sommes actuellement pas confrontés à une dépression économique. Mais les méthodes non conventionnelles pour nous sortir du marasme manquent cruellement (le chômage explose et les faillites se multiplient), surtout au moment où une partie de l’économie va de nouveau être paralysée par les nouvelles mesures restrictives pour faire face à l’épidémie de SARS-Cov-2. La seule innovation originale est pour l’instant venue des États-Unis, avec le gouvernement qui a fait parvenir à chaque Américain adulte un chèque de $1.200 ($500 par enfant). Mais ce « stimulus » n’est rien d’autre que de l’endettement, et il va bien falloir prendre des décisions plus audacieuses et hétérodoxes. En Europe, la question de l’effacement de la dette publique ne doit plus être considérée comme tabou par l’Allemagne qui, rappelons-le, n’a pas honoré sa dette à trois reprises au cours du XXe siècle.

Des politiques volontaristes doivent être mises en place pour corriger les inégalités qui n’ont jamais été aussi grandes (rappelons que la crise actuelle a grandement profité aux plus grandes fortunes mondiales). Il faudra pour cela remettre la main sur la banque centrale, probablement en sortant de la zone euro et en opérant un transfert de richesses pour que les plus fragiles n’aient pas à payer le prix de cette crise qui est partie pour durer. Les milliers de milliards injectés dans l’économie peuvent aisément être qualifiés de socialisme financier. Le peuple se contenterait certainement d’un socialisme plus traditionnel.

 

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