La presse, gardienne du temple néolibéral.

Quelques nouvelles sur le front de l’emploi aux USA qui vont nous permettre de nous interroger sur le rôle de la presse dans le système néolibéral…

Le bulletin d’information du Bureau of Labor du 8 janvier 2021 indique un taux de chômage à 6.7%. C’est certes près de deux fois le plus bas historique qui date de février 2020 (3.5% pour 5.7 millions de chômeurs), mais cela semble montrer que la politique de relance américaine porte ses fruits. Mais la réalité est bien plus sombre…

Les choses sont en effet plus complexes, et il est nécessaire de rappeler qu’aux USA, le chômage n’est pas défini de la même manière qu’en France puisqu’il n’y a pas d’âge légal de départ à la retraite. On définit donc le taux de chômage par rapport au taux de participation (c’est-à-dire les personnes désireuses de travailler), qui est basé sur une enquête mensuelle menée par le Bureau américain du recensement afin de diviser la population adulte en personnes ayant un emploi, en chômeurs ou en inactifs. Pour être classée comme chômeur, une personne doit être sans emploi, disponible pour travailler et avoir activement cherché du travail au cours des quatre semaines précédentes. Ainsi, une personne qui n’a pas d’emploi mais qui n’est pas actuellement disponible pour travailler ou qui n’a pas cherché activement du travail au cours des quatre dernières semaines est considérée comme ne faisant pas partie de la population active. On obtient ensuite le taux de participation en effectuant l’opération suivante :

(travailleurs+chômeurs)/(travailleurs+chômeurs+inactifs) x100

On voit donc que ce calcul du taux de participation, basé sur un sondage, est approximatif. Mais le plus étonnant est de constater que le taux de participation, en pleine crise économique, est particulièrement faible. Nous sommes en effet à un taux de participation historiquement bas de 61.5%, bien moins qu’au cours des années précédant la crise des subprimes, avec un taux de participation qui était de l’ordre de 67%. Si nous avions le même taux de participation qu’en 2008 (ce qui serait normal, puisqu’en temps de crise, les gens sont à la recherche d’un emploi pour sortir de la misère), nous aurions un taux de chômage supérieur de 5.5%. Il faut donc considérer la baisse du taux de participation comme une stratégie visant à minorer les chiffres de l’emploi.

Mais allons plus loin encore. Le bulletin du Bureau of Labor indique que le nombre de personnes employées à temps partiel s’élève à 6.2 millions, soit 3.7% de la population active. En France, ces personnes seraient comptabilisées dans les chiffres du chômage. Trump en avait même fait un argument de campagne lors de sa campagne en 2016, arguant que le taux de chômage était trafiqué et devait en réalité être plus proche de 42% si ces personnes étaient comptabilisées !

En décembre, le nombre de personnes qui étaient hors des statistiques (« not in the labor force ») s’élevait à 7.3 millions, soit 4.4% de la population active. Notons que ces personnes sont hors des statistiques car elles sont généralement découragées et déclarent ne plus être à la recherche d’un emploi.  Ainsi, si l’on fait le total de toutes ces catégories, on obtient un taux de chômage qui est de 20.3%, bien au-dessus des chiffres officiels. Notons que le même raisonnement aurait pu être appliqué sous la mandature de Barack Obama. Alors même que Trump dénonçait l’inexactitude des chiffres du chômage sous l’ère Obama, il a soudainement accepté les chiffres officiels qui indiquaient un taux de chômage oscillant entre 4.7 et 3.5% avant la covid-19. Les chiffres étaient en réalité beaucoup plus élevés.

Le fait que la presse américaine et internationale n’étudient jamais les publications du Bureau of Labor et se contentent du chiffre officiel pose donc problème. Si un véritable travail journalistique était effectué sur la question, cela permettrait aux populations de se rendre compte que le plein emploi est un leurre et que le problème du chômage est systémique.  De plus, en annonçant les prouesses du gouvernement américain en termes d’emploi, la presse internationale renforce l’ordre néolibéral et ne permet plus de sortir de cette ornière. Il n’y a effectivement « pas d’alternative » si l’on considère que le taux de chômage est aussi bas. Si l’on explique en revanche que les chiffres sont manipulés et que le taux de chômage est supérieur à 10% de façon quasi permanente, cela permet un renversement de perspective, puisque l’ordre néolibéral apparaît alors subitement fragile.

Faire l’exégèse des publications du Bureau of Labor permettrait également de comprendre la logique de la dette publique. Il semble en effet incompréhensible de constater que la dette publique américaine n’ait cessé d’augmenter malgré la situation de plein emploi. Mais avec un taux de chômage officieux aussi important, on comprend aisément que la dette publique ne puisse être résorbée. Donc plutôt que d’accepter toujours plus de rigueur ou de modération salariale, reconnaître l’échec du gouvernement américain en termes d’emploi serait un premier pas vers l’acceptation d’une politique économique hétérodoxe émancipatrice qui consisterait à valoriser le travail au détriment du capital. La presse, en raison de son insigne médiocrité, et parce qu’elle est en outre détenue par les hommes qui font le système, fige l’ordre social et consacre l’ordre néolibéral.

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