Cet article a été rédigé au plus fort de la crise des Gilets Jaunes. Mais avec la réforme de l’assurance chômage et avec la réforme des retraites à venir, il garde toute sa pertinence…
Ébranlé le pouvoir ? Il semble au contraire que les énarques qui dirigent le pays depuis des décennies aient parfaitement compris que se présente à eux une occasion historique. S’ils ne partagent pas la sensibilité de gauche de Naomi Klein, à qui l’on doit La stratégie du choc, ils en ont parfaitement compris la leçon. Car de quoi est-il question à l’heure où ces quelques lignes sont écrites ? D’un choc ultra-libéral sans précédent dans l’histoire de la cinquième république. En d’autres termes, le gouvernement s’apprête, pour résoudre la crise du libéralisme, à proposer encore plus de libéralisme. Pareil entêtement semble délirant. Et pourtant, cela relève de la plus implacable logique. Essayons d’expliquer pourquoi.
Dans La stratégie du choc, Naomi Klein met à jour des mécanismes qui se révèlent presque universels. La journaliste canadienne explique en effet que, depuis le coup d’état de Pinochet au Chili le 11 septembre 1973 (notons au passage que l’histoire dite par les dominants a oublié de rappeler ce qui s’est passé trente ans avant l’autre 11 septembre), une constante est observée : en effet, à l’occasion de chaque grande crise, des réformes visant à promouvoir l’ultra-libéralisme sont imposées aux peuples. Contre leur gré, faut-il bien le préciser.
Mais de quelles crises parle-t-on ? L’ensemble est assez hétéroclite. Il peut s’agir de catastrophes naturelles (ouragan Katrina en Louisiane, Tsunami en Thaïlande), de guerres (Irak, Malouines, ex-Yougoslavie), de coups d’état (Pinochet au Chili, et plus largement juntes au pouvoir dans les Amériques au cours de années soixante-dix et quatre-vingt). A l’issue d’une démonstration rondement menée, Naomi Klein explique ces crises créent un choc laissant les populations qui les subissent dans un état d’hébétude. La sidération est telle que les décisions politiques qui sont prises dans la foulée ne sont pas analysées correctement et sont acceptées telles quelles, malgré leur caractère injuste ou rétrograde. L’engeance ultra-libérale l’a donc bien compris, la paralysie mentale qui suit une crise majeure est l’occasion rêvée de procéder à des réformes structurelles : privatisations, expropriations, réforme des retraites, démantèlement des services publics, lois liberticides, financiarisation sauvage de l’économie, gouvernance par la dette… Il faut dire qu’à Bilderberg ou dans les couloirs de Rothschild, il doit tout de même y avoir quelques types qui ont eu l’ouvrage de Klein entre les mains…
Ce n’est donc pas un hasard si le gouvernement, devant la situation actuelle, ne fait pas machine-arrière. Le petit président et ses sbires comptent profiter de la crise actuelle pour imposer de nouvelles réformes visant à liquider ce qu’il reste de l’état social. Sans doute nos élites se rappellent-elles le dénouement de mai 68 ; lors des élections qui suivirent, ce n’est pas la gauche, mais Pompidou qui fut porté au pouvoir. Quelques années plus tard, la loi Giscard, emprisonnerait la France en faisant augmenter toujours plus la dette publique, jusqu’à ce qu’elle devienne un instrument de pouvoir visant à asphyxier le peuple (il est, à ce propos, intéressant de souligner, que bien avant Thatcher et Reagan, c’est la France qui posa une des bases de l’ultra-libéralisme).
Mais revenons au petit président. Si l’on scrute les déclarations de ses lieutenants, il est aisé de prédire que ce qui attend la France, c’est un choc libéral. Aurore Bergé, députée LREM des Yvelines, fut une des premières à préparer le terrain peu de temps avant l’allocution de Macron. Elle expliquait devant les caméras de Public Sénat qu’il fallait aller « plus vite, plus loin » ; bien entendu, sans « se renier ». Les chiens de gardes n’étaient pas en reste. Le Point titrait en une Les derniers jours du système social français avec, pour appâter le lecteur libéral, un sous-titre choc : Ce qui coûte vraiment un pognon de dingue. La lecture de la crise des Gilets Jaunes par Le Point était donc la suivante : le soulèvement du peuple s’explique par une volonté d’en finir avec les dépenses publiques. Sur RMC, le sieur Bourdin piégeait magnifiquement un Gilet Jaune en lui demandant s’il fallait augmenter le Smic de 10%, avec comme contrepartie, une baisse des cotisations patronales de 10%.
Le terrain était en apparence bien préparé ; le petit président, lors de son allocution, donnait alors un os à ronger au peuple, et annonçait, dans le même temps, la réforme de l’assurance chômage et des retraites. Un choc libéral était donc bien au programme. Restait à en assurer le SAV. C’est Gilles Le Gendre, chef de file des députés LREM qui s’y colle ; le gaillard déclare tout d’abord, dans un réflexe narcissique à peine croyable et plein de mépris de classe, que l’on peut reprocher aux membres de la majorité d’avoir « probablement été trop intelligents, trop subtils » ! Qu’à cela ne tienne, il faut terminer le boulot puisqu’il ajoute :
« C’est la raison pour laquelle l’ensemble des mesures que nous prenons vise à raccourcir le calendrier d’exécution et tout faire d’un coup ».
C’est ensuite au tour de Benjamin Griveaux, porte-parole du gouvernement, d’enchaîner avec une autre déclaration fracassante. Le 4 janvier, il explique aux conducteurs de transpalettes et autres gens de peu d’importance qu’il faut restructurer encore davantage la startup France : « Nous allons aller plus loin dans le changement, être plus radicaux. »
Dans un récent article intitulé Les forcenés, Frédéric Lordon envisage ouvertement l’hypothèse psychiatrique. Il faut dire que cette interprétation est tentante tant la cécité paraît totale. L’aveuglement du gouvernement n’est en effet pas sans rappeler les déclarations de José Maria Aznar, ancien premier ministre espagnol, qui déclarait, au lendemain de la crise des subprimes, que pour faire face à la crise du libéralisme, il fallait « plus de libéralisme ». Dans un entretien au Figaro en 2009, il égrène les mesures qu’il faut prendre : « Mais il faut surtout faire des réformes économiques. Plus de flexibilité et de liberté dans l’économie, moins de taxes, moins de dépenses, plus de stabilité budgétaire, moins d’intervention de l’État. »
Si l’on s’en tient à l’interprétation de Lordon, les fous étaient déjà dehors en 2009. Nous pensons qu’il n’en est rien. Car depuis le 11 septembre 1973, le schéma est bien rôdé. Comme il a été expliqué plus haut, chaque crise est l’occasion d’imposer un choc ultra-libéral. La crise des Gilets Jaunes ébranle certes l’état, mais cela n’en demeure pas moins une crise. La majorité pense donc qu’il s’agit d’une occasion rêvée pour imposer à la « grande majorité silencieuse », sans doute hébétée par le niveau de violence actuel, des réformes d’une égale violence. Le petit président l’a lui-même annoncé, la réforme de l’assurance chômage et celle des retraites sont au programme. Dans la lettre adressée aux Français, prélude au grand débat national, Macron fixe d’ailleurs le cap. Le grand débat n’en sera pas un. Hors de question de « revenir sur les mesures que nous avons prises (…) afin d’encourager l’investissement et faire que le travail paie davantage ». Il est également hors de question de « poursuivre les baisses d’impôt sans baisser le niveau global de notre dépense publique ». La stratégie du choc est encore à l’œuvre : aucune hausse d’impôt n’est possible, donc pour arrondir les fins de mois, il faudra restructurer au knout l’état et baisser le niveau de la dépense publique. Le petit président des riches ne prend même pas la peine de signaler que les 500 plus grandes fortunes de France pèsent quelque 650 milliards d’Euros, soit 30% du PIB. Il ne mentionne pas non plus que ce total a doublé depuis la crise de 2008.
Le gouvernement tente donc de faire boire à sa population l’amère potion libérale concoctée par les Chicago boys depuis plus de quarante ans. Le monde subit des 11 septembre économiques à intervalles réguliers. La France, loin d’être un pays irréformable, a subi plusieurs chocs de ce type. Mais pour les chantres de l’ultra-libéralisme, il faut toujours aller plus loin. Dans leur esprit, la révolution doit être permanente. Chaque parcelle de l’état social doit être privatisée. Et si un jour il ne reste plus rien à privatiser, on fera commerce « d’une livre de chair ». Un nouveau 11 septembre économique s’annonce donc en France, encore plus violent que les précédents. Et, en plus des réformes structurelles, gageons que le gouvernement n’oubliera pas de concocter un Patriot Act (promulgué aux USA à la suite du deuxième 11 septembre) à la française, ce qui permettra de museler les opposants politiques ; la répression policière et les projets de lois actuels vont d’ailleurs dans ce sens.
L’avenir s’annonce terrible dans notre pays. A moins que le peuple ne trouve les moyens de dire que tout cela ne sera pas.
Une réflexion sur « Macron, la stratégie du choc ou la tentation du 11 septembre »