Réforme du collège et révolution technologique

Ce texte a été écrit au moment de la réforme du collège en 2015. Il reste malgré tout brûlant d’actualité, au moment où l’école parvient de plus en plus difficilement à faire respecter les valeurs républicaines. Si les jeunes sont perdus, c’est aussi parce que l’école du XXIe siècle ne parvient plus à les insérer dans le tissu économique. Plusieurs pistes de réflexion sont avancées pour comprendre ce phénomène.

Il existe bien des raisons de contester la réforme du collège pensée par l’actuelle majorité socialiste et par l’armée de technocrates qui sévissent dans le Ministère de l’Éducation Nationale. On pourrait, par exemple, critiquer la quasi-disparition de l’enseignement des langues de l’antiquité qui sont pourtant le fondement même de notre culture. Car avant d’être chrétienne, l’Europe a été marquée par la culture du monde hellène et romain… Il est également évident qu’adossée à la réforme, il y a une implacable logique comptable : les programmes d’accompagnement destinés à renforcer la maîtrise des « compétences » sont désormais proposés à toutes les classes et à tous les élèves ; mais il n’y aura pas d’augmentation du volume horaire, une partie des heures traditionnellement consacrées aux disciplines devra être utilisée pour les « AP » (accompagnements personnalisés) ou pour les EPI (enseignements pratiques interdisciplinaires). En d’autres termes, il faudra faire plus avec moins de moyens. Sur le terrain, cela se traduira bien entendu par des pertes de postes. Il serait également légitime de s’interroger sur la différence fondamentale qu’il existe entre « enseignements complémentaires » et « enseignements de complément »[1], puisqu’il apparaît à tous qu’il existe un gouffre sémantique entre l’utilisation de l’épithète et du complément de nom (sur ce point précis, on aura tout de même une pensée amène à l’égard du lecteur qui découvre avec hébétude qu’une partie de ses impôts sert à former des énarques capables d’atteindre un tel Everest de la pensée).

Mais examinons la réforme plus en détail, ce qui nous permettra d’aborder certaines choses inconnues des chantres de la « nouvelle » pédagogie. Il n’aura échappé à personne que les savoirs, s’ils réapparaissent de façon claire dans les nouveaux programmes, ne constituent en réalité pas le cœur de l’enseignement qui est tout entier orienté vers les compétences :

« À la fin du collège, les compétences développées au fil des ans sont soumises à une validation dans les cinq grands domaines du socle commun de connaissances, de compétences et de culture, sans compensation d’un domaine par un autre. » (Programme du cycle 4, p 4)

Et si l’on opère un relevé complet du nombre d’occurrences, on constate que le mot compétence apparait 78 fois dans le programme de cycle 3 (CM1, CM2, 6e) et 127 fois dans le programme de cycle 4 (5e, 4e, 3e), ce qui tend à prouver que la place occupée par ce nouveau concept pédagogique est centrale. Pourquoi donc une telle prépondérance ? La raison est simple : l’élève n’est plus considéré comme le réceptacle de la pensée du maître mais comme un acteur social. D’ailleurs, plusieurs disciplines comme les langues vivantes privilégient une approche actionnelle où l’apprenant doit « accomplir des tâches (qui ne sont pas seulement langagières) dans des circonstances et un environnement donnés, à l’intérieur d’un domaine d’action particulier » (CECRL). Les compétences devront, bien évidemment, être mobilisées lors de la réalisation de ces tâches complexes. Or, la nécessité de considérer l’élève comme un acteur social n’a qu’un seul objectif : le préparer à son insertion professionnelle, à un environnement où il devra inévitablement réaliser des tâches complexes. Si l’école accorde une place prépondérante aux compétences c’est donc qu’elle doit être en phase avec l’entreprise. A ce titre, quoi de plus naturel que de proposer à tous les élèves de France une semaine de stage en entreprise au collège ? Beaucoup d’enseignants et de parents considèrent que l’école doit permettre de préparer une vie professionnelle épanouie. Leur conviction est partagée par de nombreux syndicalistes et politiques dont Najat Vallaud-Belkacem, Ministre de l’Éducation Nationale, qui a présenté le 2 décembre 2015 douze mesures permettant d’opérer un rapprochement entre l’école et l’entreprise. D’où la réforme qui accorde une place centrale aux compétences. Mais cette réforme, avant même de voir le jour, est déjà condamnée. En voici la raison.

Il n’aura échappé à personne que nous sommes au début d’une ère d’hyper connectivité. Cet ultra-modernisme est paradoxalement associé à un brusque retour de l’histoire (ainsi qu’on a pu le constater récemment) mais ce qui le caractérise véritablement est la révolution technologique. Cette révolution est sans précédent dans l’histoire de l’humanité et notre sort est comparable à celui des Luddites qui ont combattu au début du XIXe siècle un système où la machine à vapeur avait subitement remplacé les ouvriers des manufactures. Nous sommes voués à subir le même sort : les machines et plus encore, l’intelligence artificielle sont en train de nous remplacer brutalement. Une des premières personnes à avoir écrit sur le sujet est Jeremy Rifkin. Son ouvrage de référence intitulé La fin du travail montre magistralement comment la mécanisation a vidé le secteur primaire et secondaire des ouvriers traditionnels. A titre d’exemple, la France comptait 10 millions d’actifs agricoles en 1945 contre 1.2 millions en 2010 ! La mécanisation a ainsi bouleversé le travail agricole et a déplacé des millions d’actifs vers le secteur tertiaire. Le même mouvement a été observé dans l’industrie. Le meilleur exemple étant celui de l’industrie automobile où désormais, ce sont des robots qui fabriquent les automobiles. Rifkin cite ensuite plusieurs analyses qui estiment que, dans un avenir proche, les machines auront fait diminuer la force de travail dans le primaire et le secondaire à 20% de ce qu’elle représente aujourd’hui.

Mais ce mouvement ne serait pas grave si le secteur tertiaire réussissait à absorber toutes les personnes subissant ce chômage technologique. Or en raison des dernières avancées scientifiques, le travail est également en train de disparaître dans des proportions exponentielles dans le tertiaire. Rifkin écrivait avant l’avènement suprême de l’Internet et le fait qu’il parle d’une nouvelle forme de Luddisme dans le tertiaire pouvait passer pour de la charlatanerie. Force est de constater qu’il avait vu juste. Partons de choses familières pour comprendre combien la situation est grave : les applications sur nos smartphones. Chaque nouvelle application majeure crée certes de l’emploi dans la mesure où l’on a besoin d’un informaticien qui la conçoit, mais elle détruit en retour plusieurs milliers d’emplois. Et cette fois-ci, il s’agit bien des services. Voici une liste non exhaustive de certaines applications qui nous dispensent de l’achat d’un produit associé à une activité salariée :

L’« e-presse » a précarisé le secteur, entraînant une chute des ventes papier et une forte diminution du nombre de journalistes. Les nombreuses applications réveil, minuteur, chronomètre, torche, boussole, métronome, accordeur, partition, calculatrice… rendent l’achat de ces choses parfaitement inutiles puisque tout est gratuit sur nos smartphones. Par voie de conséquence, les personnes faisant traditionnellement commerce de ces objets se retrouvent sans emploi. D’autres applications touchent également lourdement les services traditionnels : les applications mail et SMS entraînent, par exemple, la disparition du métier de facteur et l’application pages jaunes/blanches a réduit le nombre d’opérateurs téléphoniques de façon drastique. Au niveau du secteur bancaire, chaque établissement dispose maintenant d’une application qui permet la gestion des comptes à distance : plus besoin de personne au guichet pour la consultation de comptes, virements, RIB… Le secteur multimédia souffre également dans la mesure où l’on dispose avec un simple smartphone d’un appareil photo et d’une caméra de qualité. Pour vos voyages, plus besoin de cartes, de GPS, de plan du métro, tout est à disposition gratuitement grâce à des applications très performantes. En ce qui concerne la communication, des traducteurs automatiques assez bien conçus vous permettent de vous affranchir du dictionnaire. Et pour ce qui touche à la création musicale ou cinématographique, l’accès à ces contenus culturels est à présent gratuit et illimité grâce à des plateformes comme YouTube ou au streaming. Le groupe Virgin a d’ailleurs récemment payé le prix de cette gratuité.

Vous voyez donc combien l’emploi dans le tertiaire est en train d’être détruit par les nouvelles technologies. Nous pouvons poursuivre la démonstration en prenant d’autres exemples ; en raison du recours systématique à des automates, des milliers d’emplois ont été supprimés ; sur les autoroutes, rares sont les personnes aux péages qui travaillent encore. L’essor des plateformes Internet pour la réservation en ligne (transports, cinéma, manifestations culturelles…) a également permis de se débarrasser de la plupart des guichetiers. Il en est de même dans la banque : l’utilisation d’automates pour le retrait et les autres opérations a stabilisé le nombre d’employés depuis 1985 alors que la population a, dans le même temps, augmenté de presque 20 millions de personnes. Mais le pire est encore à venir avec le développement des imprimantes 3D ; certains métiers sont déjà sur le point de disparaître alors que cet outil est relativement récent. Par exemple, prothésiste dentaire ou orthopédique ; certains rétorqueront que la création de ces imprimantes crée de l’emploi,  mais il ne faut pas oublier que ces engins sont mis au point par une poignée de personnes hautement qualifiées et dans le même temps, des milliers de prothésistes vont perdre leur emploi qui, faut-il le rappeler, est actuellement accessible après un simple CAP. Le mouvement est en réalité le suivant : une élite qualifiée fait disparaître des millions d’emplois peu qualifiés.

Les imprimantes 3D sont donc incroyablement performantes : un ingénieur chinois a d’ailleurs mis au point une imprimante 3D géante qui permet de remplacer les ouvriers du bâtiment. Elle permet de construire 10 maisons en 24 heures ; à très court terme, des gratte-ciels pourront être construits grâce à cette invention. Les maisons coûteront certes beaucoup moins cher (3 500€ pour le premier prix et 30 000€ pour un palace), mais l’emploi sera irrémédiablement détruit et des centaines de milliers de personnes vont se retrouver au chômage. Cette invention concerne le secteur secondaire, mais dans le tertiaire, des artisans seront également victimes de ce fléau : pourra-t-on encore être potier, faïencier ou santonnier lorsque les ménages seront équipés du dernier modèle d’imprimante 3D qui permettra d’obtenir une superbe réplique d’un Moustier à partir d’un plan 3D sur Internet ? Vous me direz que le procédé fait gagner du temps : vous avez oublié l’anniversaire d’un enfant ? Ne courrez plus au magasin de jouets, votre incroyable engin imprimera en quelques minutes de magnifiques Playmobils ou une figurine de Spiderman. La gratuité en clic. Le travail également détruit en un clic !

Mais notre tour d’horizon n’est malheureusement pas terminé. Attardons-nous un instant sur la vente par Internet avec le monstre Amazon et les autres interfaces de vente par correspondance. Grâce à Internet, plus besoin de magasins, tout vient à vous. Des milliers d’emplois de vendeurs sont détruits et remplacés par une armée de salariés précaires (dans les entrepôts ou la livraison), travaillant une vingtaine d’heures de façon à éviter de payer trop de cotisations pour la santé ou les retraites. Vous étonnez-vous encore que le déficit de l’Etat soit abyssal ? Mais non content de détruire le tissu économique au sein de l’espace urbain, Amazon va encore plus loin en remplaçant progressivement les employés travaillant dans ses dépôts par des automates. Quant aux livreurs, leur sort semble déjà réglé puisqu’un système de livraison par drone est déjà au point. Le livre est également voué à disparaître ; on va le numériser, vidant un peu plus les librairies qui ont déjà bien du mal à faire face à la concurrence d’Amazon.

Il est important d’aller plus loin dans notre raisonnement et de montrer combien les emplois peu qualifiés sont touchés par cette révolution technologique. Mentionnons tout d’abord les opérateurs téléphoniques qui sont peu à peu remplacés par des machines parlantes. Mais ce n’est pas tout ; les progrès sont tellement fulgurants que des machines commencent à remplacer des hommes dans des professions que l’on croyait éternelles. Sachez que le seul fait de scanner les articles au supermarché a permis un gain de temps très important aux caisses et par conséquent, la suppression d’emplois. Au cours des dernières années, une étape a été franchie puisque dorénavant, il existe des caisses sans humains. Dans de nombreux restaurants, on réduit désormais le personnel grâce à des bornes automatiques (notamment dans la restauration rapide). Et dans certains lieux plus huppés, il existe à présent le concept de commande sur écran tactile. Par ailleurs, le premier restaurant totalement déshumanisé a récemment ouvert. Dans le même ordre d’idée, les robots sont capables d’assurer la fonction de cuisinier, de chef étoilé, de barman. Et dans certains grands magasins, des automates peuvent à présent diriger et conseiller efficacement les clients. Quant au commerce de proximité, il existe déjà des e-commerces, des magasins entièrement automatisés ouverts 24 heures sur 24 qui, à terme, remplaceront les petites épiceries ouvrant tard le soir. Autre exemple frappant : le nombre de secrétaires est resté stable depuis les années 1990 (aux alentours de 800 000 employés) alors que la population active n’a cessé de croître. La cause de ce phénomène doit bien entendu être attribuée aux progrès de la robotique.

Le tour d’horizon que je viens d’effectuer est loin d’être exhaustif et à l’heure où j’écris ces lignes, de nombreux emplois hautement qualifiés sont encore épargnés. Mais les progrès sont tellement rapides, en particulier dans le domaine de l’intelligence artificielle, que ces métiers (ingénierie, finance, enseignement, armée, médecine…) seront à leur tour inéluctablement menacés dans les prochaines années. Sachez que des robots sont déjà capables d’effectuer des interventions chirurgicales, que la guerre moderne se fait à l’aide de drones (en attendant les robots-guerriers ou les nanotechnologies), que l’on a recours à des robots pour rédiger des articles de presse et que les services à la personne (hôtesse d’accueil, steward, aide aux personnes âgées …) seront sans doute confiés à un humanoïde dans un avenir proche. Les ultra-libéraux opposent volontiers à la démonstration que je viens d’effectuer l’argument de la destruction créatrice qui est constamment à l’œuvre dans nos sociétés. Il n’est pas question de remettre en question ce principe : des secteurs économiques continueront de disparaître conjointement à la création de nouvelles activités mais aucun secteur ne pourra absorber les millions d’emplois qui sont en train d’être détruits. Pour reprendre la thèse avancée plus haut, le travail sera désormais réservé à une élite qualifiée. Etrange chose que cet ultra-modernisme qui sanctifie les avancées technologiques mais qui, dans le même temps, concasse les individus en les condamnant à la bolge du  chômage…

Il va également de soi que la démonstration qui précède inflige un coup mortel aux pourfendeurs des 35 heures qui répètent à l’envi que ce dispositif a « ruiné l’économie française ». Ces gens-là ne prennent simplement pas la peine, dans un réflexe de déni, de regarder le monde qui les entoure. Disons le haut et fort, on a le droit dans un élan archaïque de penser qu’il est possible de retrouver le plein emploi, mais il est alors évident que cela relève de la croyance en un dogme économico-religieux qui ne résiste pas à l’étude du réel : dans la plupart des pays occidentaux, les chiffres du chômage sont honteusement trafiqués. C’est le cas aux États-Unis où malgré le fort taux de natalité, le nombre de personnes désireuses de travailler ne cesse de diminuer depuis 2008. Ron Paul, ancien candidat à l’investiture républicaine, ne s’y est d’ailleurs pas trompé et évalue le taux réel de chômage à 23% de la population active (estimation qui va dans le sens de nombreux analystes financiers). En Chine les autorités donnent aux marchés des chiffres rassurants avec un taux de chômage aux alentours de 4% mais en interne, le chiffrage est nettement plus alarmant avec un taux de chômage à hauteur de 22%. Du côté de l’Allemagne, où tout va théoriquement si bien puisque le taux de chômage est inférieur à 5% de la population active, il existe un des secrets les mieux gardés d’Europe puisque les Allemands travaillent en moyenne 30.5 heures par semaine seulement. Cela mérite quelques explications. Si le temps de travail est, bien évidemment, supérieur à la France pour un temps plein (selon les données de 2013, un salarié allemand à temps plein travaille 1847 heures contre 1661 heures pour un salarié français), le gouvernement allemand a depuis 2008 fait le choix du maintien dans l’emploi avec un recours massif aux temps partiels. D’où la moyenne d’heures travaillées relativement faible pour un pays que l’on érige pourtant en modèle. Quant aux pays qui connaissent un fort taux de croissance comme l’Irlande, non seulement le taux de chômage est toujours élevé (aux alentours de 10%), mais l’endettement public et privé ne diminuent toujours pas. Seuls quelques pays faiblement peuplés ayant la chance d’être assis sur de colossales richesses naturelles (Norvège, Qatar…) ou ayant fait le choix de l’hypertrophie bancaire (paradis fiscaux) font encore illusion. Pour ne rien arranger, les politiques des dernières décennies ont aggravé la situation du chômage en France : prévalence du libre-échangisme, concurrence exacerbée, logique de l’actionnariat, soumission servile à des principes économiques come le NAIRU (Non Accelerating Inflation of Rate Unemployment : taux de chômage sous lequel on ne doit pas descendre sous peine de créer une poussée d’inflation. En France, le taux de chômage sous lequel il ne faut pas descendre varie entre 7 et 10% depuis 2008 !). Mais malgré tous ces choix déplorables, il est nécessaire de garder à l’esprit qu’en raison de la révolution technologique, il n’y aura plus d’inversion significative de la courbe du chômage.

Retournons à présent à la réforme du collège. Les socialistes, dans la lignée de la majorité précédente, ont résolument fait le choix de l’entreprise à travers le pacte de responsabilité, la loi Macron ou, comme on l’a vu en préambule, à travers la réforme du collège. Erreur historique puisque l’école se tourne vers l’entreprise au moment où l’entreprise se meurt ! Il est donc plus que nécessaire de sortir du cadre imposé par le Ministère de l’Education Nationale. Il faut pour cela considérer que la mission de l’école doit être de préparer à la vie professionnelle mais également aux périodes de chômage que les jeunes vont immanquablement connaître. Voilà qui est novateur, iconoclaste et pour certains de nos concitoyens totalement inconcevable. Car pour l’immense majorité de la population, le travail est la valeur suprême qui doit structurer l’existence de l’homme moderne. Mais ainsi que je l’ai démontré plus haut, le travail disparaît à une allure étourdissante ; nous ne pouvons donc plus continuer de sacraliser comme nous le faisons la valeur travail. Il est donc primordial de sortir du cadre de pensée qui est celui de nos sociétés modernes. Cela implique que l’école doit être repensée, réorganisée, réagencée d’une façon qui mette au centre de l’apprentissage la discipline pour ce qu’elle est : une noble chose de l’esprit qui doit guider l’individu tout long de son existence ; au cours de la vie professionnelle, cela va de soi, mais également au cours des périodes chômées qui ne devront plus être vécues comme une calamité, mais comme une chance. Chance, à l’âge adulte, de pouvoir retourner à des disciplines explorées dans le cadre du « gai savoir » pendant l’enfance : littérature, histoire, sciences, arts plastiques ou encore musique, voilà bien des choses merveilleuses pour occuper de douces journées chômées (il est évident que la culture n’est pas un réconfort lorsque l’on peine à payer son loyer ; les thèses défendues dans cet article impliquent la création d’un revenu minimum pour chaque individu, ce qui sera très certainement au cœur du débat politique au cours des prochaines années)…  Pour l’instant, rien de tout cela. Les compétences et l’entreprise sont au cœur du système éducatif et aucun parti politique n’a, à ce jour, pris conscience de la révolution que nous sommes en train de vivre. Par voie de conséquence, le chômeur et l’assisté sont culpabilisés et  apparaissent comme d’affreux parasites à « la France qui se lève tôt ». Cette stratégie fonctionne d’ailleurs parfaitement puisque le chômeur vit, la plupart du temps, sa situation comme une calamité avec, dans les cas extrêmes, le suicide au bout du processus d’exclusion.

Il relève donc d’une nécessité impérieuse de repenser notre système éducatif puisqu’il est clair que la fin du travail va bouleverser l’ordre économique, les rapports sociaux et notre relation au travail. Il est un lieu commun de dire que l’école permettait naguère aux individus de s’extraire de leur milieu social. Je pense au contraire que c’est une idée erronée. L’école fonctionnait bien à une période où les travailleurs n’avaient pas encore été remplacés par des machines, des robots ou des logiciels. Cette période a permis à de simples ouvriers sans qualification de finir directeur d’entreprise ou manipulateur en radiologie comme ce fut le cas pour mes grand-parents. Le grand remplacement de l’homme par la machine ne permet plus cela. Il est donc primordial de repenser l’école et sa place par rapport à d’autres éléments clés de la société. Si l’école doit préparer à des métiers hautement qualifiés et au chômage, cela implique également que l’on doive la mettre en relation avec la politique familiale et la politique audiovisuelle. Et c’est là un point central que l’on ne doit plus éluder : il est totalement utopique de penser que l’école peut correctement fonctionner avec le rapport maladif des français aux écrans (quels qu’ils soient), symptôme d’une cellule familiale qui se désagrège chaque jour un peu plus. Les professeurs se retrouvent ainsi face à une horde d’enfants rois, incapables de concentration, gavés de mauvaise soupe télévisuelle, prisonniers d’une assuétude mortifère à des jeux vidéo toujours plus violents. Les parents, pour leur part, sont incapables de gérer l’afflux d’images dans leur foyer et persuadés du génie de chaque membre de leur famille (bien encouragés, il est vrai, par la télé-réalité qui sacralise les gens médiocres et vulgaires), ils n’éduquent plus les enfants, laissant cette tâche à l’enseignant qui, dès lors, ne peut plus transmettre. Il est temps que les choses changent ; car l’homme vivant à l’heure de l’utra-modernisme et connaissant le chômage technologique ne pourra trouver son salut qu’en étant supérieurement éduqué. Sans cela, il cèdera à la violence. Les événements sanglants de 2015 sont là pour nous le rappeler.

[1] Les enseignements complémentaires désignent l’accompagnement personnalisé (AP) et les enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI) alors que les enseignements de complément désignent les Langues et Cultures Antiques (LCA) ou les Langues et Cultures Régionales (LCR).

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