Zone euro : l’austérité à vie ou la sortie

La tragédie a ceci de particulier qu’une fois un choix premier effectué, il n’y a plus d’échappatoire à un destin tragique, quelles que soient les décisions prises par la suite. Il en est de même pour l’euro. Demeurer fidèle à la monnaie unique ou en sortir, les conséquences de l’un comme de l’autre semblent désastreuses. Car l’euro est né de la décision calamiteuse de peuples qui ont été dupés par les paroles fallacieuses de leurs dirigeants, convertis aux préceptes de l’école de Chicago. La prospérité, l’Europe sociale, l’harmonie entre les peuples, tout ceci n’est resté qu’à l’état d’intentions. Ce qui importait était le renforcement de la toute-puissance du capital et de la finance. Mais alors que la crise économique est d’ores et déjà d’une virulence extrême, que peut-on attendre de l’UE, prise au piège des dogmes monétaires allemands ?

Toute personne qui prête allégeance à l’euro devrait au moins avoir le courage de se rappeler ce qu’ont dû endurer les Grecs. C’est que l’on oublie un peu vite à quel point ce peuple a souffert alors qu’une politique européenne coordonnée aurait dû le préserver. En 2010, alors que la dette grecque était inférieure à celle de l’Italie, le pays a subi d’invraisemblables attaques spéculatives qui lui ont interdit l’accès au marché. En appelant l’UE à l’aide, la Grèce a signé son arrêt de mort. Car, sous l’égide de l’Allemagne qui était pourtant lourdement endettée à son égard depuis la seconde guerre mondiale, la Troïka (FMI, BCE, Commission européenne) est intervenue, faisant payer à la Grèce le prix de sa relative fragilité.  Une politique austéritaire d’une violence inouïe, avec des conséquences dramatiques a été imposée au berceau de l’Europe : explosion du chômage, baisse des salaires et des pensions, privatisation des ports, explosion de la prostitution et du nombre de SDF, chute du PIB, pénurie de liquidités orchestrée par la BCE pour faire pression sur le gouvernent de Tsipras, hausse de la TVA, hausse de la mortalité infantile… il serait trop long d’être exhaustif tant le peuple grec a souffert. Du reste, son long chemin de pénitence continue…

La faute initiale n’était donc pas d’avoir vécu au-dessus de ses moyens (après tout, qui se préoccupe de la dette du Japon supérieure à 250% du PIB ?), mais d’avoir fait le choix de l’euro. Les Grecs n’avaient dès lors plus que deux options tragiques : une phase d’austérité ou une sortie de l’UE. Le chantage opéré par la Troïka a bien fonctionné, la Grèce est restée dans la zone euro, la population payant le prix de la politique démente des technocrates européens et du FMI. La question qui se pose est alors la suivante : sommes-nous voués à connaître un destin tragique comme les Grecs alors que la crise du coronavirus est en train de dévaster les économies de la zone euro ?

La crise est historique à bien des égards et les premiers chiffres laissent présager le pire. S’il fallait des symboles, on irait voir du côté des États-Unis où les chiffres du chômage donnent le vertige depuis cinq semaines avec des augmentations hebdomadaires comprises entre 3.2 et 6.6 millions ! En France, nous ne sommes pas en reste avec 11.3 millions de personnes au chômage partiel. J’ai également expliqué que face à ce cataclysme économique sans équivalent, seule l’audace pourrait nous sauver. C’est à dire qu’il faudra trouver des solutions innovantes pour sortir de la dépression économique. L’austérité étant à éviter à tout prix ! Mais c’est là que nous nous heurterons au mur du réel : l’Allemagne.

De très nombreux économistes comme Gaël Giraud, Daniel Cohen ou Nouriel Roubini préconisent le recours à l’helicopter money, c’est-à-dire création monétaire pure et distribution au peuple pour qu’il arrête de tirer la langue. Mais les garants de l’orthodoxie monétaire -les pays du nord de l’Europe- diraient, bien entendu, non. Ils ne veulent pas entendre parler de mutualisation des dettes avec les coronabonds (nés de l’idée avortée des eurobonds), comment pourraient-ils dire oui à des idées plus hétérodoxes encore ?

Or, si nous nous contentons d’un maigre plan de relance, la seule option sera de rembourser un Everest de dettes. Donc l’austérité suivra. Et comme notre situation est critique en raison d’une dette publique trop importante, le destin grec nous attend. L’Allemagne, à moins d’un miracle (que la crise soit virulente au point que son salut vienne par exemple d’une répudiation de la dette), campera sur ses positions et imposera l’austérité jusqu’à l’étranglement des peuples. Et c’est là que nous sommes ramenés à la tragédie. Car désormais, deux choix s’offrent à nous : la calamiteuse voie de l’austérité qui dévastera l’Europe du sud, ou la sortie de l’euro.

Pour que les choses soient claires, une sortie de l’euro serait une vilaine chose qui ébranlerait les marchés et provoquerait des remous en France. Mais, nous l’avons vu avec le Royaume-Uni, la sortie de l’UE n’a pas été le cataclysme annoncé. Une sortie de l’euro serait plus technique et nécessiterait sans doute une phase de transition plus longue que pour le Brexit, mais ce n’est nullement impossible. D’ailleurs, un maintien de l’euro comme monnaie commune serait parfaitement envisageable. L’idée avait été brillamment défendue par Lordon en 2013 (et lamentablement reprise par Le Pen en 2017). Mais que ce soit un retour au franc ou un passage à l’euro-franc, il faut en terminer avec l’euro comme monnaie unique !

C’est également là que nous rencontrons un autre problème avec la réaction des citoyens apeurés à qui l’on va prédire la fin du monde si nous retrouvons notre souveraineté monétaire. Sans parler du symbole ! Car l’euro est un symbole. Et c’est là qu’il faudra tâcher de convaincre. Car avec une crise qui va mettre au chômage 30% de la population et qui va massacrer le PIB, version découpe à la tronçonneuse, on ne voit plus pourquoi il y aurait une raison d’avoir peur. Il faudra alors conjurer l’esprit des grands hommes, à commencer par Roosevelt qui déclarait « la seule chose dont nous devons avoir peur est la peur elle-même » ! Demeurer veule et subir, ou avoir le courage de choisir… Quant au symbole que l’euro représente, revenons à la crise grecque. L’euro est certes un symbole, mais c’est un symbole qui tue ! Rester dans cette union monétaire, c’est accepter, comme l’ont fait les Grecs, le baiser de la mort et son cortège de mesures funestes qui pour le coup, détruiront véritablement l’Europe.

Penser que la sortie de l’euro signifierait un repli autarcique digne de l’Allemagne nazie est une bêtise sans nom : l’idée d’Europe est aussi forte que notre hymne éternel, la divine ode à la joie ! Sortir de l’euro est en revanche une mesure pleinement humaniste qui permettrait de reprendre le contrôle de la banque centrale et de faire tout ce que l’Allemagne ne permet pas en raison de son orthodoxie monétaire née de la phase d’hyperinflation de la république de Weimar : helicopter money pour sortir de la déflation, défaut partiel sur la dette, plan massif de relance ou politique de grands travaux grâce au financement de la banque centrale ou encore transition écologique. La coopération européenne pourrait même être renforcée en mettant en place de grands projets pour une économie radicalement différente (rappelons qu’Ariane ou Erasmus ne sont pas les enfants de l’euro).

La triste ironie de la tragique histoire européenne est qu’au nom d’un symbole de pacotille, cet euro maudit, nous allons avoir droit à une cure d’austérité carabinée. Et les dernières fois où cela a été appliqué, des nazis sont arrivés au pouvoir. En 1933 en Allemagne (à la suite de l’austérité imposée par le chancelier Brüning) et en 2012 en Grèce avec Aube Dorée. Donc, à partir du moment où nous savons que les politiques restrictives dans un contexte de diminution de la demande mènent à la catastrophe, quel choix ferons-nous ? Resterons-nous fidèles à l’euro, sachant que c’est la mort assurée, ou choisirons-nous la sortie qui nous permettra de renaître ? Choisissez en conscience, mais rappelez-vous, l’euro tue !

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